La guerre de mouvement moderne nécessite le ravitaillement sans interruption des unités qui combattent en flèche. En Europe de l’ouest, la Wehrmacht réussit à ravitailler ses Panzerdivisionen lors de la campagne de mai-juin 1940, sauf dans le cas du Panzergruppe Kleist, qui rencontre quelques difficultés. En Russie, comme en Afrique du Nord, la situation est plus critique.
Le cas de la Libye et de l’Egypte est très différent de celui de la Russie, car le trajet entre les ports italiens et ceux d’Afrique du Nord est encore plus aléatoire que celui dans les grandes immensités russes. Cela dit, les embûches ne manquent pas sur les Rollbahn de Russie : les distance énormes, la poussière l’été, le froid et la neige l’hiver et la boue entre les deux… Ajoutons à cela les attaques des partisans, puis de l’aviation soviétique, et le tableau est dressé. Les difficultés sont encore aggravées par le fait que les véhicules de la Heer ne sont pas standardisés : il y a des dizaines de modèles différents de camions allemands, sans parler des multiples engins de prise, notamment français et russes.
Le train d’une Panzerdivision
Les problèmes d’organisation du ravitaillement d’une Panzerdivision sont immenses en Russie. Ils dépendent du Kommandeur des Divisions Nachschu§truppen, dont le nom est abrévié en Kodina. Cet officier travaille en coordination avec son échelon supérieur, le Nachschu§führer, qui gère le ravitaillement d’une Panzerarmee (ou d’une Armee, dans le cas des divisions blindées qui n’appartiennent pas à une Panzerarmee).
Le ravitaillement nécessaire à la division est transporté jusqu’à celle-ci par des colonnes de camions, qui fonctionnent entre les grands dépôts (généralement à des gares) et les points de distributions de la division elle-même. Ces colonnes ont une capacité standard et il en existe de deux sortes :
- une colonne légère, d’au moins 12 camions, avec une capacité de 90 tonnes ;
- une colonne lourde, de 22 camions ou plus, qui emporte 120 tonnes.
Le nombre de ces colonnes n’est pas standard, quant à lui. Au cours des années et selon les endroits, ce nombre varie considérablement. En moyenne, en 1944, chaque Panzerdivision en compte entre quatre et six. Elles sont attachées à l’unité et font une noria incessante. Le système est très flexible : le Kodina ou le Nachschu§führer ont la possibilité de concentrer les colonnes motorisées là ou c’est nécessaire, afin de faire face à l’imprévu ou de renforcer une division avant une attaque.
Le carburant et son transport
Le transport de l’essence n’est pas du ressort direct du Kodina, mais dépend de l’armée elle-même, qui répartit ses stocks de carburant comme elle le souhaite ou le peut. Les camions sont de deux types : des camions citernes ou des camions normaux, de 4 à 5 tonnes, emportant le carburant dans des tonneaux d’acier d’une contenance de 200 litres. Ces réservoirs sont remplis dans les gares, directement à partir de wagons citernes. Les colonnes sont là aussi de deux types : des colonnes légères d’une capacité de 25 000 litres ou des colonnes lourdes, d’une capacité double : 50 000 litres.
En cas de crise, les colonnes de carburant sont multipliées, comme celle du ravitaillement habituel. Dès avril 1940, les Panzerdivisionen se sont entraînées à recevoir du ravitaillement en carburant par la voie des airs. En Russie, la chose est devenue courante à partir de 1943, lorsque le front est sans cesse mouvant et que des encerclements de plus ou moins longue durée se produisent.
L’œuvre de Guderian
En 1943, Guderian devient Inspecteur-Général des Panzertruppen. Il transforme l’organisation du ravitaillement. Tout ce qui concerne l’approvisionnement des unités au front est concentré dans les compagnies de ravitaillement attaché aux bataillons de Panzer, de Panzergrenadier et de reconnaissance. Ainsi, les compagnies combattantes ne s’occupent plus du tout de leur approvisionnement, ce qui leur laisse l’esprit plus libre, si l’on peut s’exprimer ainsi. Les commandants de compagnie n’ont plus à s’occuper de cette lourde tâche administrative et peuvent ainsi se consacrer uniquement à leurs problèmes tactiques. Des compagnies de ravitaillement opèrent au profit des compagnies combattantes. Elles vont chercher l’approvisionnement dans les dépôts crées par la compagnie divisionnaire de ravitaillement.
Sur le front russe et même ailleurs, le personnel des Nachschu§truppen est augmenté de façon non négligeable par des volontaires des pays de l’Est et de Russie, souvent d’anciens prisonniers de guerre, appelés par les Allemands Hiwis (Hilfwilligen). Ils accompagnent les chauffeurs dans les camions et forment la principale main d’œuvre pour les manutentions.
Comme nous avons pu le constater, il n’y a pour ainsi dire aucun échelon intermédiaire entre la Panzerdivision (ou l’Infanterie-Division) et l’Armee. Le corps d’armée ou le Panzerkorps n’intervient pour ainsi dire pas, sauf peut être dans le cas de la Grossdeutschland, en 1944-45.
Le problème de la standardisation
Malgré les effort d’avant guerre pour standardiser les camions destinés à la Wehrmacht, les colonnes de ravitaillement sont composées d’un matériel incroyablement hétérogène. Ainsi, en 1944, il a été calculé qu’en moyenne, une Panzerdivision compte 96 types différents de véhicules à roues. On imagine le problème des pièces détachées, notamment en Russie. Même les unités fraîches, comme la Panzer Lehr en Normandie, compte 60% de véhicules d’origine étrangère.
Des problèmes dès Barbarossa
Lors de la campagne de Pologne, le ravitaillement des Panzerdivisionen en combat ne pose aucun problème. En France, les difficultés commencent à apparaître, mais de gros stocks sont capturés et l’avance ne sera que rarement ralentie par des problèmes logistiques.
En revanche, lors de Barbarossa, les problèmes apparaissent vite. Les stocks de pétroles, de pneus, de moteurs et de boîtes de vitesses sont insuffisants, car l’usure est très rapide. Le ravitaillement arrive d’autant plus mal que les voies ferrées russes sont d’un écartement supérieur à celui des trains allemands : il faut donc les transformer à mesure de l’avance, une tâche considérable. Cela consiste à rapprocher de 9 cm l’un des deux rails.
L’hiver ne fait qu’aggraver la situation. Ainsi, lorsque la température tombe en dessous de zéro, il arrive qu’une centaine de locomotive tombent en panne le même jour. Hitler retire à l’armée le problème des voies ferrées en le confiant aux chemines de fer allemands (Reichsbahn), qui devient responsable de toute l’organisation en Russie. Le général Gercke, chef du transport militaire, peut alors se consacrer uniquement à la question des convois routiers.
La tâche, il faut bien le dire, est immense. Il ne s’agit évidemment pas de ravitailler seulement les Panzerdivisionen, mais aussi les divisions d’infanterie et les unités des autres services, de telle sorte que les quelques routes correctes, les Rollbahn, sont vite totalement saturées. Le trafic intense les détériore très rapidement.
Quelques aspects du problème
Quelques chiffres donnent une notion des difficultés qui assaillent les Allemands, dès le début de Barbarossa. Ainsi, la 9. Panzerdivision, qui marche sur Moscou par le sud-ouest, demande du carburant, sur une période de huit semaines, pour 200 000 kilomètres parcourus ! Lorsque l’hiver arrive, les Rollbahn ne sont plus d’aucun usage, car la plupart des camions ne fonctionnent plus. Après l’arrivée à la gare la plus proche du front, le ravitaillement ne peut plus suivre que sur des traîneaux.
Si la consommation d’essence est supérieure à ce qui était prévu, le cas de l’huile est sans doute plus préoccupant encore : l’état des routes ou même leur absence forcent souvent les chauffeurs à rouler en première. Autant dire que la consommation d’huile est énorme dans ces conditions. Dès le 6 août 1941, un rapport du 57. Panzerkorps indique que la consommation d’huile est de 20 à 30 litres aux 100 kilomètres, au lieu du demi-litre normal ! Lors de l’attaque sur Kiev, la moitié des blindés est hors service en raison du manque d’huile. Et l’essence manque aussi : en novembre, la 2. Panzerarmee reçoit 300 000 litres de carburant pour des besoins qui dépassent le million de litres.
Dans ces conditions, les Panzerdivisionen perdent leurs moyens offensifs. Ainsi ; le 5 décembre 1941, la 4. Panzerdivision dispose des effectifs suivants :
- Panzer : 15 % de la normale ;
- personnel : 30 % ;
- transport : 34 % ;
- motos : 10 %.
Une crise presque fatale et une amélioration
Lorsque les Russes contre-attaquent en décembre 1941, le front allemand part littéralement en morceaux et une retraite aurait conduit à un désastre sans précédent, les moyens de transport étant littéralement paralysés. Face à un état-major suprême plongé dans le désarroi, Hitler ordonne le 16 décembre à l’armée de résister sur place et de ne céder du terrain nulle part. Cette décision sauve la Heer d’une défaite complète. En la renouvelant un an plus tard, à Stalingrad, dans des circonstances très différentes, il condamnera en revanche la 6. Armee.
En ce qui concerne les voies de communications, celles-ci sont rétablies peu à peu après l’essoufflement de l’offensive de Joukov. Des dépôts plus nombreux sont établis aux nœuds routiers les plus importants et dans de nombreuses gares. Les Rollbahn sont protégées par des unités spéciales chargées de la lutte contre les partisans. Le matériel lui-même est amélioré : des camions avec un train arrière chenillé font apparition, comme le Maultier ou le Wehrmachtschlepper (en 1943). Des efforts considérables sont consentis pour l’entretien des voies ferrées et des routes, notamment avec des bataillons de prisonniers de guerre ou de travailleurs recrutés localement.
Ceci permet de rétablir le fonctionnement des voies de communication, mais tout au long de la guerre, les Allemands vont rencontrer des problèmes de ravitaillement, aussi bien par voie terrestre qu’aérienne. La chute de Stalingrad, très mal ravitaillée par la Luftwaffe, montre que la Wehrmacht n’est pas capable de mettre en place un pont aérien efficace, par manque d’avions évidement, mais aussi parce que le ravitaillement n’arrive pas correctement aux aérodromes.