Le 22 septembre 1943, trois plongeurs de combat anglais acheminés par sous-marins de poche sont capturés sous la coque du cuirassé Tirpitz, au mouillage dans un fjord norvégien. Avant que les allemands ne puissent se remettre de leur surprise, les charges déposées contre les flancs du navire explosent, l'immobilisant pour de longs mois. Cette attaque va déclencher une réaction en chaîne chez les allemands, à l'instar de celle du 21 septembre 1941, lorsque des nageurs italiens, chevauchant les célèbres Maïli, avaient frappé à Alexandrie, provoquant la perte de deux cuirassés anglais. Les allemands comprennent vite qu'une poignée d'homme peut infliger des pertes considérables à l'ennemi ou le contraindre à immobiliser des forces importantes pour protéger ses zones sensibles.
A l'origine, les recherches allemandes ont été effectuées indépendamment des travaux italiens. La coopération dans ce domaine n'interviendra que bien plus tard. A l'époque, l'homme qui allait devenir le responsable du programme allemand ignorait encore tout de l'existence des plongeurs italiens. Il s'appelait Alfred von Wurzian et il avait acquis une grande expérience dans le domaine de la plongée avant la guerre. Il avait travaillé en collaboration étroite avec Hans Haas et était d'avis que l'équipement de plongée Dräger était suffisant pour permettre à un plongeur d'entrer dans n'importe quel port du monde. Il soumit son idée au quartier général de la marine, mais les officiers, dont la tête était encore pleine d conception remontant à la première guerre mondiale, sourirent des ses propositions.
A l'image des italiens
Seule l'Abwehr (la centrale du contre-espionnage dirigé par l'amiral Canaris) accueillit favorablement ses suggestions, car elle était à l'affût de tout ce qui pouvait être utile aux sabotages ou aux missions spéciales.
Ainsi, une de ses unités spéciales, la division Brandebourg, fut initiée à ces nouvelles techniques subaquatiques. Quand von Wurzian prendra contact avec les italiens, il sera surpris d'apprendre qu'ils connaissaient depuis longtemps ce qu'il pense être le premier à découvrir. Pourtant, il reste encore pas mal de chemin à parcourir avant que les premiers nageurs de combats allemands soient opérationnels. Comme toujours, il faudra surmonter les préjugés des fonctionnaires et des officiers opposés à toute innovation. Et, une fois encore, les hautes sphères de la Kriegsmarine ne se sont rappelées de l'existence des nageurs de combat quand "les carottes étaient cuite". "Au printemps 1944, le programme d'entraînement était dirigé depuis deux ans par l'amiral Heye et cette formation était connue sous le nom de petites unités de combat de la marine", se souvient Herbert Klein, l'un de ces nageurs. "On recherchait des hommes pour conduire des torpilles humaines ou des vedettes chargées d'explosifs, et des volontaire pour les nageurs de combat. Ma carrière d'homme-grenouille, poursuit Klein, a commencé sous les directives d'Alfred von Wurzian, à Valdagno, dans les Dolomites, Il y avait déjà sur place des nageurs italiens de la célèbre division Decima Mas"
De nombreux stagiaires viendront se joindre à ce groupe, tels que ces sept membres de l'Abwehr qui avaient déjà effectués des missions en Espagne ou en Amérique du Sud, ces dix soldats de la Waffen SS qui passaient leurs nuits derrière les lignes russes à faire sauter les canons à longue portée, ou ces dix parachutistes chevronnés. Tous étaient des nageurs hors pair. L'entraînement était soumis au secret le plus strict et tout le personnel était coupé du monde extérieur, même si ces mesures étaient moins rigoureuses en Italie qu'en Allemagne.
La formation poursuivait plusieurs buts. D'une part, il s'agissait d'entraîner des troupes d'assaut propres à la marine sur le modèle des commandos anglais pour les employer, grâce à des bâtiments de taille réduite, a des attaques sur les côtes ennemies ou contre des points stratégiques (station radars, batteries côtières…). D'autre part, il fallait les former au pilotage des mini-sous-marins afin de conduire des opérations très pointues de sabotage à l'intérieur d'un port ennemi. Enfin, on devait assurer la formation de nageurs équipés d'appareils respiratoires afin qu'ils mènent des actions contre les navires ou cibles "humides".
La meilleur forme physique
Le programme d'entraînement comportait plusieurs heures de natation dans l'un des bassins de Valdagno avec masque et palmes. Dans un autre bassin, on avait reconstitué une partie de la coque d'un bateau et on s'entraînait à poser des mines d'un mètre de long sous la quille de roulis.
Le combat rapproché était également au programme au cas où, après une mission, on aurait été contraint de traverser les lignes ennemies pour regagner nos positions ou pour éliminer silencieusement des sentinelles.
L'arme principale du nageur étant son propre corps, il lui faut être dans la meilleure forme physique possible, et l'athlétisme se trouvait ainsi privilégié. Durant l'entraînement, les élèves étaient gavés de beurre pour compenser l'importante perte de chaleur corporelle consécutive aux séjours prolongés dans l'eau froide. Les nageurs recevaient aussi une nourriture plus riche.
Après quatre semaines d'exercice en gymnase, les élèves étaient alors dirigés sur une petite île près de Venise. C'est là que les premiers exercices en mer commenceront. Le programme devenait toujours plus dur et se rapprochait de plus en plus des conditions de guerre.
L'entraînement avait lieu contre un vieux pétrolier échoué à deux kilomètres de San Georgio.
"Il y avait deux façon de procéder, continue Klein. Lesté de plomb, on avançait sur le fond de la mer jusqu'à l'objectif, ou bien on se laissait dériver avec un filet sur la tête pour ressembler à un paquet d'algues. On traînait la charge derrière soi au bout d'une élingue. On plongeait après avoir atteint la coque et on se mettait sous la quille de roulis pour que les bulles d'air du sac respiratoire ne remontent pas à la surface et trahissent notre présence. Les poissons explosifs – des tubes chargés de 7,5 kilogrammes d'explosifs et munis d'un allumeur – étaient alors mis en place. Ensuite, on se débarrassait de son équipement de plongée, on vidait à nouveau l'air de ses poumons sous la quille de roulis, on remontait lentement vers la surface en s'aidant le long de la coque, et on s'éloignait en se laissant porter par le courant ou en donnant des petits coups de palmes. La détonation de la charge était programmée pour avoir lieu alors que le bateau se trouvait en haute mer, ce qui pouvait laisser penser qu'il avait été victime d'une mine ou d'une torpille".
Au bout de six mois d'entraînement, les nageurs de combat allemands étaient prêts. Cependant, le débarquement en Normandie, en juin 1944, vint bouleverser les plans du haut-commandement, qui pensait alors les utiliser exclusivement à des fins de sabotage sur des navires alliés, en Angleterre, par exemple, où les renseignements faisaient apparaître de massives concentrations de bâtiments de tous types. Berlin décide d'employer ses nageurs pour faire sauter des ouvrages d'art quand, au bout d'un mois, les alliés se sont solidement implantés sur le continent.
Des raids très audacieux
L'objectif sera constitué par deux ponts sur le canal de l'Orne tenus par les anglais. Le commando MEK-60, avec six hommes répartis en deux groupes sous les ordres de l'enseigne de vaisseau Heinz Prinzhorn, va poser deux mines qui détruiront les deux cibles. Toujours en Normandie, ce sera ensuite un raid réussi contre une batterie côtière, celle de Hode, tombée intacte aux mains des britanniques. Au total, le commando MEK-60 conduira 24 opérations de sabotage entre juin et septembre 1944. Ces actions, si elles n'ont pas influé sur le cours de la guerre, n'en ont pas moins été des succès tactiques qui eurent pour effet de retarder l'avance alliée. Peu de temps après, les nageurs de combat allemands vont réussir le raid le plus audacieux contre les ponts de Nimègue, aux Pays-Bas. La destruction de ces ponts, préoccupation majeure de l'état-major allemand, devait permettre de stopper le trafic allié, en particulier celui des armées anglaises.
Les bombardements aériens, l'artillerie et les groupes d'assaut avaient déjà échoués. Aussi, Berlin fit appel aux "hommes K". Et dans la nuit du 28 au 29 septembre 1944, après de terribles efforts et grâce aussi à un courant formidable, le pont ferroviaire s'effondra. Ensuite, les nageurs seront envoyés dans l'Adriatique, où ils vont attaquer avec succès une station radar anglaise sur une île dalmate. A partir de décembre 1944, les "hommes K" sont envoyés sur le front de l'Est pour détruire des ponts de bateaux installés sur la Vistule, en Pologne. A ce moment, toutes les forces du Reich sont mobilisées pour contenir l'avance soviétique. Même durant les derniers jours d'avril, les nageurs de combat vont encore mener une opération dans le port de Stettin, à l'embouchure de l'Oder. Surnommés par les russes les "bandits noirs du fleuve", ils réussirent à faire sauter le QG soviétique établi dans le centre ville. Tels ont été les débuts des "petites unité de combat de la marine allemande", et quoique la guerre touchât à sa fin, cette jeune arme ne fit que prendre de plus en plus d'importance. Son organisation n'a cessé d'être améliorée et, à la fin de la guerre, il y avait quatre groupes de combat opposés dans une lutte désespérée à un adversaire d'une supériorité écrasante.
Le groupe opérationnel Nord avait son quartier général sur l'île de Sylt.
On y trouvait des hommes-grenouilles, des conducteurs de "torpilles humaines" ou de mini-sous-marins. Ce groupe opérait en mer du Nord et dans la Baltique. Le quartier général du groupe Ouest se trouvait sur le Rhin, dans le district d'Opelschen. Ses plongeurs ont été employés contre les ponts capturés par l'ennemi. Le groupe Sud opérait en Méditerranée et son quartier général était situé entre Venise et Portofino. Une des missions de ce groupe consistait à former des conducteurs de "torpilles humaines" et de "bateaux explosifs". Quant au groupe Est, il était cantonné dans la zone Ahlbeck/Usedom. C'est là que les troupes de choc de la marine, tant redoutées de l'ennemi, s'entraînaient au combat au corps à corps et aux coups de main dans lesquels elles excellaient.
En Avril 1945, une mission d'un type particulier devait échoir à un groupe de commandos de la marine quelques jours avant la mort d'Hitler. Le Führer (et commandant suprême) avait exigé que sa garde personnelle soit dorénavant assurée par une unité de commandos-marine.
Cela se passait pendant la bataille de Berlin, alors qu'Hitler, enfermé dans son bunker, se méfiait de plus en plus des SS. Il est paradoxal de constater que dans ses derniers jours, le dictateur avait mis toute sa confiance dans la marine, l'arme qui s'était pourtant montrée la plus réfractaire à l'idéologie nazie. On est surpris de voir que, dans son testament, Hitler ait désigné Dönitz comme successeur afin que sa garde personnelle soit constituée de personnel de la marine. Enfin, les 27, 28 avril 1945, il y eut une tentative pour parachuter 30 hommes "KSK" sur Berlin, mais la DCA soviétique était trop efficace et l'opération fut abandonnée. Le lendemain, la mort d'Hitler devait dispenser les hommes "KSK" de cette dernière mission.